Pour soutenir, pérenniser les initiatives « en transition », autant que possible à l’échelle des Hauts-de-France, la Maison régionale de l’environnement des solidarités a financé au titre du FIDES une mission de neuf mois, confiée à Elsa, pour explorer la faisabilité d’un projet de réseau régional des collectifs citoyens de transition. C’est dans ce cadre que s’est déroulée samedi 20 novembre une première rencontre régionale des collectifs en transition.
- État des lieux
Le mouvement des villes et territoires en transition propose des actions concrètes et positives, ainsi que des actions de sensibilisation. En France, en novembre 2021, il existe environ 150 villes et territoires qui se reconnaissent dans ce mouvement, dont 24 dans les Hauts-de-France, la moitié après 2018 (13 se sont constitués entre 2019 et 2020), la moitié également sous statut associatif. 22 se situent dans le Nord, 1 dans le Pas-de-Calais et 1 dans l’Oise. Ce sont des initiatives citoyennes se donnant pour objet, au minimum : la diminution du recours aux énergies fossiles, la relocalisation de l’économie, le développement des liens sociaux à l’échelle locale, le développement de compétences.
Ces groupes sont souvent conduits par un leader, les rôles sont peu définis. Les projets développés dans la région concernent le plus souvent, dans l’ordre :
– l’alimentation, l’agriculture, la restauration scolaire
– la mobilité
– la végétalisation de la ville
– l’énergie verte
– le « zéro déchet ».
Le lien avec les collectivités locales sont contrastés : il apparaît un « choc des cultures » sur la façon de travailler. Les municipalités ont tendance à voir le collectif comme un groupe d’opposition, une défiance à laquelle répond la défiance des collectifs à l’égard du risque de récupération politique. Cette appropriation du mouvement par les collectivités locales n’est d’ailleurs pas considérée comme au cœur du mouvement des villes et territoires en transition. Les collectifs sont plutôt en recherche d’une interaction constructive, de processus de coopération avec les collectivités afin qu’elle puissent poursuivre leur projet propre.
Après sa formation, les questions d’orientation du collectif émergent rapidement : l’articulation d’une coordination à une organisation plus thématique, l’utilité de fédérer (« faire tâche d’huile »), l’implication de plusieurs générations, etc. Leur difficulté commune est la lutte contre l’essoufflement : la dynamique retombe si la coordination, qui prend rapidement sur le temps d’activité disponible (jusqu’à représenter le principal) repose sur un petit nombre de personnes. Parce que la coordination est chronophage et parfois éprouvante, les collectifs envisagent volontiers un réseau de proximité, mais pas plus loin.
- Retour d’expériences
A Templeuve en transition (le collectif auquel appartient Elsa), le groupe émerge avec la réunion de quelques initiateurs inspirés par la lecture du Manuel de Rob Hopkins. Elsa insiste sur l’importance de saisir l’événement rassembleur : ne pas attendre deux mois mais plutôt placer une nouvelle rencontre dans les quinze jours. C’est aussi de cette manière que s’est constituée la mobilisation régionale Ensemble pour le climat, à la suite de la première marche pour le climat organisée dans la région, le 8 septembre 2018, après la démission de Nicolas Hulot.
A Lille, le groupe Saint-Michel en transition a « vivoté » pendant quatre ou cinq ans avant de trouver une voie d’action : développer un service qui facilite la vie des gens, être visible dans l’espace public (en l’occurrence au travers d’un projet concret financé par un budget participatif), puis accueillir (« c’est par les composts que les citoyens sont entrés dans le collectif : est-ce que moi aussi je peux composter ? ») et fédérer (pour qu’ils aient connaissance des actions, pour qu’ils s’impliquent, pour qu’eux-mêmes portent des projets). Pour Dominique, il est plus utile de créer de la confiance entre les gens que de chercher à se mettre d’accord : pas de « grand messe », pas de débat. Beaucoup de personnes savent que « c’est la cata », il convient de respecter l’expérience des uns et des autres et « se lever, se faire plaisir, pas dans la corvée ».
A Lille-Fives, l’inspiration est venue du Community organizing de Saul Alinsky, qui encourage la mise en place d’infrastructures contrôlées par les citoyens : des bases de données, des logiciels libres, une organisation proche de celle d’une firme pour porter des projets ambitieux. Localement, a été implanté sur un serveur le logiciel Go go Carto par l’intermédiaire de ClissXXI, une coopérative qui installe des logiciels libres. Ce logiciel est paramétrable par une personne motivée. Mais des objections émergent : Saul Alinsky est dans le rapport de force, alors que le mouvement des Villes en transition se situe majoritairement dans la négociation, l’action locale, la formation de leaders charismatiques...
Toujours à Lille, un autre groupe s’est retrouvé autour de l’adaptation radicale (Deep adaptation de Jem Bendell. Ce n’est donc pas une initiative de territoire, c’est un groupe axé sur un travail intérieur pour accepter l’idée d’effondrement. Ne s’appuyant pas sur des actions concrètes, le groupe est en interrogation sur sa capacité et sa volonté de fédérer. Pour Philippe, le groupe ne s’est pas posé la question de la gouvernance : « c’est les Chevaliers de la Table ronde ». Des sous-groupes se sont formés, avec toujours une équation individuelle.
Un citoyen de Coutiches développe un projet d’autonomie (alimentation, énergie, low-tech) pour lui-même, pour sa famille et si possible pour ses voisins. Il travaille des projets sensibles, autour des questions d’air, d’eau (sa formation initiale), d’énergie (humaine). Il veut convaincre à sortir de la société de consommation par l’exemple, non par les discours. Il organise des visites de ses installations, a commencé à recueillir le nom des personnes qui viennent, a un lien avec le parc naturel régional Scarpe l’Escaut, mais il apparaît une contradiction avec le travail sur l’autonomie et la capacité (et peut-être la volonté) de fédérer.
Le collectif Lambersart demain est en cours de consolidation avec le soutien de l’équipe municipale, par des articles sur le journal local, une adresse mail, la possibilité de mettre quelques stands ou l’organisation d’une fresque du climat. Jérémie, de Lambersart en transition, formateur RSE (responsabilité sociale et environnementale des entreprises), exprime la question permanente que soulève sa démarche dans un univers entrepreneurial : « qu ’est-ce que ça va m’apporter ? » L’espérance du formateur est qu’en posant des critères, les acteurs du système vont s’engager dans une démarche similaire. Il estime important de créer les récits qui donnent envie aux gens et de développer des compétences dans ce sens.
- Des pistes de mise en réseau
Elsa a pu organiser des rencontres dans l’Oise et majoritairement dans le Nord et le Pas-de-Calais, afin de recueillir l’expression des besoins d’accompagnement et de soutien. Il en ressort les éléments suivants :
– une volonté de fonctionner en gouvernance partagée
– un besoin de formation pour accompagner le leadership
– le réseau doit économiser du temps de coordination, et non pas alourdir les collectifs.
Un projet de mise en réseau se développe au sein d’autres initiatives, en lien ou en soutien :
– le CERDD
– les Colibris (mais eux-mêmes ne proposant qu’un soutien, sans action concrète, ce réseau est en voie d’épuisement)
– Alternatiba, les Amis de la Terre et ANVCOP21, qui ont fusionné leurs groupes sur Lille, développent l’action directe et la désobéissance civile, une action pour interpeller les décideurs inscrite dans la conflictualité (qui ne permet d’envisager qu’un lien distant avec les villes et et territoires en transition)
– un projet équivalent mis en œuvre en Belgique sous la forme d’une ASBL (association sans but lucratif, équivalent d’une association loi 1901), qui s’appuie sur des salariés.
Différentes propositions émergent :
– recherche d’un soutien de la région, de la MEL
– recherche de personnes en soutien des initiatives, notamment pour financer des actions
– organisation en « cercles » : initiatives, finances
Vincent (Ensemble pour le climat Roubaix) souhaite une aide pour renforcer les structures locales. Il croit également en une aide pour partager un diagnostic commun sur la situation globale : comment parvenir à un diagnostic territorial ? Par où commencer ? Michel (Pacte pour la transition dans les Hauts-de-France) exprime un besoin d’expertise citoyenne et l’articulation avec les actions conduites au niveau national et européen. Pour la coordination régionale, il propose des rencontres ouvertes institutionnalisées (selon une règle définie à l’avance avec des échéances régulières). La réflexion ne fait que commencer...